La consommation et ses centres commerciaux

Dans les années 1950, les États-Unis ont vécu un événement sans précédent qui allait marquer de manière décisive les sociétés contemporaines : l’ouverture du premier centre commercial moderne à Detroit en 1954, connu sous le nom de Northland Center. Ce lieu n’était pas seulement un espace commercial traditionnel, mais plutôt un village urbain miniature d’une superficie de 134 000 mètres carrés – avec des boutiques, des halls d’exposition, des espaces communs ainsi que des services sociaux tels qu’un bureau de poste, une banque, une clinique et même une bibliothèque pour enfants.
Cette réalisation architecturale et commerciale n’était pas seulement une innovation fonctionnelle, mais l’étincelle qui a déclenché la fièvre de la consommation – une fièvre qui continue de croître et de s’approfondir jusqu’à aujourd’hui.
Derrière cette révolution de la consommation se trouve l’architecte austro-allemand Victor Gruen, le père spirituel des centres commerciaux.

Gruen, qui a émigré aux États-Unis, a utilisé ses compétences artistiques et techniques pour concevoir des espaces commerciaux qui sollicitent les sens, anesthésient la volonté des clients et les poussent à une consommation sans fin. Ses façades scintillantes et ses étalages soigneusement conçus ont été surnommés « pièges à souris » – une référence à leur capacité à attirer les consommateurs dans des mondes de convoitise et de possession. Cela a conduit à la transformation de la culture économique et sociale moderne. L’historien américain Kenneth Jackson décrit ce phénomène par une phrase qui restera comme un témoignage de notre époque :
« Les Egyptiens ont leurs pyramides, les Chinois leur grande muraille, les Britanniques leurs prairies pures, les Allemands leurs châteaux, les Néerlandais leurs canaux, les Italiens leurs immenses églises – et les Américains leurs centres commerciaux ».
Cette phrase révèle le rôle central du centre commercial en tant que symbole de la civilisation américaine moderne, dans laquelle la consommation est devenue une identité et l’ambition commerciale un mode de vie.

Cette phrase révèle le rôle central du centre commercial en tant que symbole de la civilisation américaine moderne, dans laquelle la consommation est devenue une identité et l’ambition commerciale un mode de vie.
Dans un contexte philosophique plus profond, l’écrivain portugais José Saramago réfléchit à ce changement dans un essai de son livre « Le carnet de notes ». Saramago voit le monde moderne s’effondrer sous le poids d’un système économique injuste – les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent, tandis que les petits métiers et les communautés locales disparaissent sous la domination des multinationales.

Saramago écrit :

« Nous sommes devenus des êtres inertes, incapables de ressentir de l’indignation ou de refuser d’obéir. Nous vivons dans la caverne de Platon, contemplant des ombres qui nous cachent la vérité. Le centre commercial est le symbole de notre époque – et en même temps un témoignage de notre déclin, de notre fin de civilisation ».

Alors que le centre commercial domine le paysage moderne, un petit monde d’artisans et d’arts continue d’exister – comme des nids de résistance contre un monde qui veut soumettre tout le monde à la volonté du marché. Ces artisans disparaissent comme des vaincus, mais leur dignité reste intacte. Ils refusent de se plier à un monde qui ne reflète pas leurs valeurs. Et au milieu de ce scénario, la question reste ouverte :
Possédons-nous encore la capacité critique de penser et d’agir ?
Ou accueillons-nous – volontairement ou par ignorance – le dernier signal de la fin de notre civilisation ?

Konsumtempel

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